Formes libres
Dans mon travail d'é-criture, les " Formes libres flottant
sur les ondes ", visibles sur mon site www.0m1.com , occupent une place de
charnière à plus d'un titre.
Charnière tout d'abord parce qu'elles viennent après les " 10 Poèmes en 4
Dimensions ", et qu'elles en sont le prolongement dialectique. Charnière ensuite
parce qu'elles sont toujours en mouvement et n'ont aucune raison de se refermer
définitivement. C'est une œuvre qui fait transition et qui est ouverte. Qu'elles
aient été retenues par le Electronic Litterature Organization, pour la manifestation
du 4-6 Avril 2002 à l'Université de Californie, UCLA, et par l'Institut Français
de Bucarest, en ce même printemps 2002, montre malgré tout qu'elles existent
déjà en tant que telles.
Après les " 10 poèmes en 4 dimensions "
Lorsque j'écris les " 10 Poèmes ", à l'automne 1999,
je veux renouer avec une pratique vieille de 20 ans. A la fin des années 70,
je peignais de grandes aquarelles sur lesquelles je mélangeais des mots et
des images. Mon intention, à l'époque, était de vérifier si en mélangeant
sur un même support écrit et image, je pouvais retrouver l'unité du signe,
avant qu'il ne se sépare en lettres et icônes.
Ce travail se situait également dans un mouvement propre à ces années-là,
qui voyait le texte confronté à ce toujours plus intense déluge d'images et
sommé au dialogue avec elles - que ce soit à travers la bande dessinée, le
graphitti, le pop-art. Pendant ces 20 ans, de la fin des années 70 à la fin
des années 90, j'avais complètement oublié ces travaux de recherche. Ce n'est
que le jour où comme beaucoup je me suis plié au travail sur ordinateur que
j'ai renoué avec cette réflexion.
Ainsi les " 10 Poèmes en 4 Dimensions " avaient pour but de vérifier cette
ancienne hypothèse - le texte mêlé à l'image pourrait-il nous conduire vers
l'unité du signe ?- tout en explorant de nouvelles voies. Par l'utilisation
du mouvement, à l'intérieur de véritables " scènes littéraires ", était-il
possible d'aller vers un nouvel art, qui soit toujours la littérature - mais
à laquelle le changement de support donnerait une évolution somme toute normale
?
L'introduction du temps - la 4° dimension - comme composante essentielle de
l'œuvre littéraire, et non plus comme thème, devrait marquer ce pas vers une
nouvelle littérature. Appelons-la é-criture, si vous le voulez bien, ou de
quelque autre façon que l'on puisse la désigner. Ce qui pour moi fonde la
nouveauté, c'est le changement de support. De la paroi de la caverne, où l'unité
du signe était de fait, en passant par la pierre gravée, le parchemin et la
révolution Gutemberg, nous revenons presque au point de départ, cet écran
vertical, qui permet une lecture collective.
L'écran de l'ordinateur est une paroi animée sur laquelle nous essayons encore
et toujours de décrypter le monde.
Hypothèse rejetée
Pour la première des hypothèses qui ont donné naissance
aux " 10 Poèmes ", j'ai bien été obligé de me rendre compte qu'il fallait
la rejeter. Jamais nous ne retrouverons l'unité du signe. Pour toujours les
mots seront là, disjoints des images. Dès lors que nous avons appris à lire,
à écrire, les mots feront obstacle à une adhésion pleine et entière à l'image.
Le visible sera toujours surdéterminé par le lisible. Que nous voyions une
montagne, et nous ne pourrons nous empêcher de penser à Thomas Mann, Thomas
Bernhard, et à tant d'autres. Mais sur ce constat d'échec, il était possible
malgré tout de construire quelque chose. C'est la conclusion des " 10 Poèmes
". Puisque nous ne pouvons retrouver l'unité du signe, nous allons explorer
toutes les dimensions de l'écart entre lisible et visible. Nous allons dire
de toutes les façons possibles combien plus jamais les mots ne seront en accord
avec les images.
Ainsi les " Formes Libres " prendront le contrecoup des " 10 Poèmes ". Pour
la deuxième hypothèse - i.e. : la littérature pouvait et devait migrer d'un
support vers l'autre, et ce faisant elle accomplirait une boucle dans le temps,
de la paroi verticale de la caverne jusqu'à l'écran - je ne sais si elle s'est
vérifiée.
Les " Formes libres ", pourtant, avec la liberté qui est dans leur titre,
vont dans cette voie.
Les " Formes libres " vers une é-criture
Aucune thématique n'est imposée aux " Formes libres
". Après que j'aie fini les " 10 Poèmes ", il n'était pas question pour moi
de recommencer une œuvre suivie.
Mon envie était d'aller vers une écriture plus libre, qui n'ait de compte
à rendre à rien ni personne. Chaque écran serait refermé sur lui-même et ne
dirait que le contenu de cet écran. Chaque écran n'explorerait qu'une seule
voie, une seule idée.
Parfois, il s'agirait d'un mot, comme " mais " dans " Mais il n'y aurait ",
ou " Instants " dans " Instants de bonheur ". Parfois une impression visuelle
comme dans " Gymnastique ".
Parfois une volonté de railler les procédures offertes par les logiciels de
création de site comme dans " L'amour comme la mort ".
Parfois une contradiction entre deux animations comme dans " L'araignée du
doute ", où la superposition de deux animations non coordonnées de oui/non
nous fait sortir de l'alternative pour aller vers le doute.
Parfois un événement personnel comme dans certaines des " Formes libres ".
Ce qui me fait dire que les " Formes libres " sont comme un cahier intime,
que je prends et que je laisse à intervalles très irréguliers. Ainsi, entre
les trois dernières " Formes libres " et la précédente, huit mois s'étaient
écoulés, pendant lesquels je n'avais pas fait une seule œuvre d'é-criture.
Parfois enfin, ce sera un élément graphique que je retravaillerais, comme
dans " Poisson des profondeurs ", qui me donnera envie de bâtir quelque chose
autour.
Les " Formes libres sont ainsi très variées. Le manque de goût pour les continuer
me vient parfois : autant à cause de l'investissement dans d'autres travaux
d'écriture que par une lassitude devant les moyens limités qui sont les miens,
en terme de logiciels informatiques.
Simplicité
Les " Formes libres " sont faites avec simplicité :
plus encore que les " 10 poèmes ", elles ne cherchent pas l'exploit visuel.
Pour les réaliser, je n'utilise qu'un logiciel de création de site, Dreamweaver,
et un logiciel d'animation, " Animation Shop " parmi les plus simples sur
le marché. Les visuels que je crée sont à la portée de n'importe qui. C'est
parfois un reproche que l'on me fait. D'autres au contraire apprécient cette
simplicité. Quant à moi, je me méfie beaucoup - peut-être aussi faute de pouvoir
faire autrement - des travaux trop axés sur l'utilisation de logiciels complexes,
qui porteraient l'écriture multimédia vers un succédané de vidéo, ou de dessin
animé.
Pour moi, il s'agit toujours de faire de la littérature : seule elle m'intéresse.
Que le mot soit visible à l'écran est pour moi une condition sine qua non
: en-deça de l'inscription, en-deça de l'effort de lecture demandé à un lecteur-internaute,
nous entrons dans un autre domaine.
L'é-criture trouvera certes sa voie, qui n'est pas tout à fait celle de la
littérature sur papier. Mais si l'on supprime les mots de l'écran, autant
appeler cela du web-art, de la vidéo, ou encore autre chose. C'est pourquoi
le terme d'é-criture dit assez bien ce qu'il veut dire.
Si j'évoque constamment un rapport à l'image, ce n'est pas pour aller vers
un quelconque réalisme, mais simplement pour le concept d'image. Très rarement
je demande à mes visuels d'être la représentation de quelque chose. Pourtant,
je n'abandonne une " Forme libre " que quand je la trouve achevée, le visuel
en parfaite adéquation avec l'écriture. Pourquoi et comment j'arrive à mettre
un point final à une " Forme libre ". Je ne sais pas. La dernière d'entre
elles, " Instants de bonheur ", m'aura demandé trois semaines de réécritures,
renoncements, avant de parvenir à l'achever. Je ne sais pas du tout à quels
éléments de stylistique je me fie pour estimer que telle ou telle " Forme
libre " peut être montrée. C'est une question à laquelle je tenterai dans
l'avenir de donner une réponse. Peut-on déjà dégager une stylistique des é-critures
?
Les " Formes libres " et après
Les " Formes libres " sont ouvertes, et remplissent leur fonction de laboratoire, de carnet de notes. Pour autant, elles ne pourraient contenter toutes mes envies d'é-criture. C'est pourquoi j'ai lancé avec Gérard Dalmon ce chantier du Livre des Morts. Long, difficile, encore inachevé. Un autre grand chantier se présente devant moi, pour lequel l'apport de partenaires serait là aussi indispensable. Quand les trouverai-je, je ne sais pas. Tout ce que je sais, c'est que l'écriture interactive, ou électronique, ou de quelque façon qu'on l'appelle, ne cessera pas de me captiver, de retenir toute mon attention. C'est en grande partie là que se joue l'avenir de la littérature.
Xavier Malbreil
Intervention colloque de Rennes2 "Ecritures en
ligne", 26.09.02 Télécharger
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ou lire sur les actes du colloque (à venir).
Analyse du récit/ Serial Letters
Interview manuscrit.com Août 2002
Le Travail de la Forme - Publié dans le magazine Archée
Les formes libres - Communication pour les journées d'étude (15-16-17 mai 2002) de Paris VIII
Comment j'ai découvert l'é-criture - Publié sur www.e-critures.org
Pourquoi je suis jaloux de Pikachu - Publié sur www.agraph.org
Interview pour www.manuscrit.com