24 Mai 2002
La difficile appréhension d'un art en train de naître, les problèmes récurrents pour nommer telle ou telle pratique, la stylistique à élaborer, etc...- ce sont quelques-unes des questions qui se posent à l'é-criture.
En tant qu'auteur, non-universitaire, je serais tenté de dire que cela ne me concerne pas : un auteur doit créer et pour le reste, basta!
Pourtant, non. Je soutiens que créant dans une direction si nouvelle, nous, auteurs, ne pouvons faire l'économie d'une réflexion sur notre pratique. Même si elle n'emprunte pas les mêmes voies que les universitaires, qui arrivent avec leur bagage conceptuel, et qui sont a priori plus armés que nous pour ce travail.
Alors, si je suis d'accord avec certains créateurs pour dire que peu importe que l'on place à tel ou tel endroit un lien hypertexte, ou un son, ou de la vidéo, ouque l'on produise de la musique avec la Gameboy de son gamin, ou quoi que ce soit d'autre, l'essentiel c'est d'arriver à produire quelque chose qui...soit beau? ...ait un sens?...interpelle quelque part (mais où) ?... fasse progresser la littérature? ou qui atteigne n'importe quel autre but, oui je suis d'accord avec ça : un créateur doit d'abord créer et de même que la fiction doit être comme un bolide courant à sa propre perte, sans regarder de gauche ni de droite, sans se soucier de rien d'autre que de sa propre logique, de même nous devons créer sans souci préalable de
1 - vérifier une théorie
2 - en créer une au passage ...mais il n'empêche que notre discipline ne peut pour l'instant pas faire l'économie d'une réflexion sur elle-même.
On n'imagine mal un créateur en e-littérature écrivant "innocemment" comme par exemple pourrait le faire un pisse-copie (qui dirait, "oh ben moi, je crois que l'essentiel c'est de raconter une histoire pour que le lecteur il lise une hitoire").
Non cela est tout bonnement impossible. Bien sûr qu'un auteur en é-criture (c'est du moins mon point de vue) doit se soucier, au final, de créer une oeuvre qui va remuer le lecteur et peu importe les moyens qu'il emploiera. Mais le seul fait d'aller vers cette pratique-là, si particulière, l'écriture avec un ordinateur, est déjà un choix artistique si engagé que cet auteur ne pourra jamais prétendre faire une oeuvre "innocente".
L'engagement est dans le choix de l'outil : qu'on le conçoive comme une contrainte, ou comme une libération, comme un pied-de-nez ou comme un investissement forcé dans la production théorique, ce choix parle pour nous. Il empêche par nature toute création sur ordinateur d'être débarrassée de soubassement ou de développement théorique.
Ce n'est pas l'endroit pour exposer mes choix, et les attendus de ma démarche, je le fais par ailleurs.
Tout ce que je veux dire ici c'est que les é-crivains ont des démarches fort différentes.
A tel point que je peux me demander ce qui me lie à quelqu'un qui travaille sur les générateurs de texte, tant cette démarche m'est étrangère...mais il n'en reste pas moins que je me sens toujours plus près d'Alexandre Gherban et de ses lettres en errance sur l'écran (surtout quand j'ai entendu l'explication qu' a donnée Tibor Papp du lettrisme), que de n'importe quel littérateur qui nous sort son pavé ruineux d'ennui.
Quoi, qu'est-ce qui nous rapproche? Peut-être plus que l'ordinateur, dont les utilisations sont tellement différentes, c'est le fait d'admettre - et je crois que cela nous le partageons tous - que nous sommes sortis d'une logique narrative traditionnelle, d'une recherche confortable du beau, ou de la volonté cynique de tendre au lecteur un miroir complaisant, nous sommes sortis de l'idée que chaque discipline artistique (image, écrit, son, mouvement, forme, etc...) devrait rester indéfiniment dans sa bulle.
Ce que ce travail poursuit, c'est ce que des artistes comme Mallarmé, Apollinaire, les avant-garde russes et parisienne du début du siècle, etc...ont déjà fait : un décloisonnement des formes. Je crois que c'est cela qui nous réunit.
Maintenant, et pour en revenir au point de départ, peut-on à la fois créer et s'interroger sur sa pratique, puis la théoriser?
Certains auteurs sont davantage théoriciens. D'autres davantage portés vers la création. Pour parler de ce que je fais, puisque c'est tout de même ce que je connais le mieux, j'ai parfois peur que la construction théorique ne soit là que pour habiller la réalisation a posteriori. Et après tout, bien des lecteurs me disent que je n'ai pas à me soucier de "théoriser".
Mais non.
Pour moi, ce que j'essaie de faire, c'est une oeuve qui avancerait sur les deux fronts : se produisant comme oeuvre elle donnerait en même temps son soubassement théorique, qu'elle exprimerait implicitement, et dont elle resterait infirme si jamais on devait l'en séparer. C'est ma façon à moi d'être théoricien.
Que jamais je ne puisse l'exprimer clairement, comme un objet séparé, serait pour moi le gage d'une création vivante. Que la théorie serve de moteur interne à ma création, et je pourrai m'estimer non pas satisfait - parce que seuls les inconscients peuvent être satisfaits - mais en accord avec mon désir.
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27 Mai 2002
Certains delphiniums, à cause des pluies diluviennes de ces derniers jours se sont largement penchés.
Passé un moment à les redresser.
Je crois que j'ai fini mes corrections sur les Prisonniers 2. En tout cas, j'ai fait partir le manuscrit vers l'éditeur. Corriger - je veux parler de cette dernière correction, juste avant l'impression - ne veut pas dire seulement retrancher. Même si c'est pour moi l'essentiel de cette activité. Corriger veut dire aussi réécrire, à légères touches. Donner le dernier coup qui transformera la citrouille en carosse.
C'est un travail que j'apprécie de plus en plus : quelle jouissance de prendre un passage un peu moche, plâtreux, balourd et de le rendre vif, enthousiasmant.
Comme un plaisir de domination...sans domination si ce n'est d'un moi plus ancien, que l'on surpasserait par l'intelligence, la clarté de vue.
Ce sentiment - et parfois on serait tenté de presque se rudoyer, de se traiter de tous les noms, de se moquer de soi-même parce que, jusqu'à présent on n'avait pas été capable de voir ce qui maintenant saute aux yeux - plonge d'autant plus dans l'allègresse qu'il ne rabaisse personne, mais tout au contraire ouvre les voies d'un plaisir épuré, immédiat, pour le lecteur.
Alors, quand on a l'esprit suffisamment en alerte pour bien voir tout ce que l'on avait pas vu au cours des dizaines de lectures précédentes, et que tout à coup, pour on ne sait quelle raison, on perçoit exactement les points de friction, les deux ou trois lignes que l'on va pouvoir faire sauter sans rien enlever au texte, mais qui au contraire lui ajoutera quelque chose, le mot juste qui éclaire l'ensemble,on se sent vraiment récompensé de faire ce travail a priori peu passionnant.
Ecriture, réécriture...souvent on considère la seconde partie du travail comme fastidieuse, ennuyeuse, tandis que la première serait bulle de champagne...
Pour ma part, quand je fais de belles corrections, j'éprouve cette jouissance de clarté, que je n'éprouve jamais dans l'écriture.
Une réécriture réussie nous montre souvent que l'on pouvait dire mieux en peu de mots ce que des insistances rageuses ne parvenaient pas à seulement évoquer.
C'est un travail que l'on pourrait comparer également à celui du montage, au cinéma.
Couper, recoller plus loin, dynamiser l'ensemble.
Pour ma part, je m'arrête dans ce travail au moment où je constate une certaine "fluidité" dans le texte : il faut que ça coule, que ça roule, que rien n'arrête la progression de lecture, mais qu'au contraire chaque mot, chaque phrase donne un élan supplémentaire, donne envie de lire la phrase suivante.
Tant que je ne ressens pas cela, mes corrections ne sont pas finies.

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8 Juin 2002
Les pluies n'en finissent pas. J'ai dû planter des piquets pour que ces foutus delphiniums tiennent enfin.
Il y a quelques jours, j'ai commencé un récit hypertexte, Serial Letters.
Comment cela est-il venu?
Tout d'abord sur la demande d'un étudiant (en thèse, je crois) qui veut monter une revue de poésie, et qui me demandait une contribution. Ne sachant quoi lui donner, je me suis emparé d'une photo que j'avais prise à Saint Denis, au cours des journées franco-canadiennes des 15-16-17 Mai (voir reportage photo sur le site adamproject
et je l'ai modifiée avec Photoshop.
Ce travail, me suis-je rendu compte, me permettait de renouveler mon expression graphique.
Sans faire le moindre plan, sans que l'idée n'en trainait non plus depuis longtemps au fond d'un vieux tiroir de mon cerveau, je me suis lancé dans ce récit.
Un autre élément a été déterminant, qui tient à des problèmes techniques : découvrant la machine à écrire du Proust concoctée avec humour par Jacques Tramu, sur Echolalie , j'ai eu envie d'utiliser un tel dispositif, qui fait vivre le texte, comme en direct, et lui donne un aspect proche de l'oralité.
Son Javascript, un peu compliqué à utiliser, je l'ai remplacé par un autre, trouvé sur un site dédié à ce genre de choses.
Le dispositif technique étant en place, je pouvais me lancer dans cette nouvelle aventure.
Il était temps!
Je sentais pesamment que mon mince bagage technique m'empêchait de réaliser des choses un peu plus complexes formellement.
Maintenant, le récit.
Il part sur une base volontiers parodique, humoristique.
Prendra-t-il un virage dans une autre direction.
Pour l'instant, je n'en sais rien.
Je m'y amuse beaucoup, c'est déjà une bonne chose.
Laissons faire l'inspiration, après tout. Tant qu'elle est là... il faut lui donner libre cours.
La littérature traditionnelle, mots, phrases, chapitres, etc... je crois que je vais arrêter.
N'ayant pas trouvé d'éditeur qui me soutienne, et qui me donne envie d'aller de l'avant, je ne vois pas pourquoi je continuerai : je n'y gagne rien. Ni argent, évidemment, ni considération, ni fun, ni... rien!
Alors que l'écriture électronique m'apporte bien davantage. Alors, pourquoi s'entêter?
Continuer une activité qui ne vous apporte rien, je n'en vois plus l'intérêt.
Les éditeurs n'ont pas voulu de mes bouquins, tant pis.
Je ne vais pas passer ma vie là-dessus.
Il faut que je pense à faire un article sur un sujet qui me tient à coeur : que voit-on sur un écran?
L'oeuvre-web est-elle une oeuvre dans la mesure où elle peut disparaître si facilement?
Quel est son statut?
N'est-elle pas, portée par les fils du téléphone (ou du cable) plus proche de l'oralité?
Et quand elle disparaît, qu'en reste-t-il?
Que deviendrait une oeuvre-web qui disparaîtrait à tout-jamais, mais qui resterait à l'état de trace dans la mémoire de quelques internautes qui l'auraient vue?