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Intervention colloque de Rennes2 "Ecritures en ligne", 26.09.02 Télécharger - 40 ko en rtf
ou lire sur les actes du colloque (à venir).

Analyse du récit/ Serial Letters

Interview manuscrit.com Août 2002

Le Travail de la Forme - Publié dans le magazine Archée

Les formes libres - Communication pour les journées d'étude (15-16-17 mai 2002) de Paris VIII

Comment j'ai découvert l'é-criture - Publié sur www.e-critures.org

Pourquoi je suis jaloux de Pikachu - Publié sur www.agraph.org

Interview pour Marie Lebert

Interview pour www.manuscrit.com

 

 


Version intégrale ci-dessous

0- Pouvez-vous vous présenter ?

Xavier Malbreil, vit dans le sud de la France, site www.0m1.com Trois livres publiés chez manuscrit.com. Nouvelles et articles parus à droite et à gauche (La Voix du Regard, Docks, Agraph, Archée, é-critures, NewsBourse, etc...) Oeuvres multimédia nombreuses et reconnues nationalement et internationalement

1- Xavier Malbreil, vous êtes connus comme l'un des gourous de la littérature électronique en France, pourtant vous publiez ce roman sur manuscrit.com, comment s'expliquer cet attachement à la forme traditionnelle du livre

… Gourou...comme vous y allez! Disons plus simplement que j'ai une double casquette : création multimédia d'une part, et organisation/animation d'autre part, à travers mes multiples activités collectives dans la littérature électronique (Newsgroup "é-critures" que j'anime, et site www.e-critures.org auquel je participe, oeuvres collectives, etc). Parallèlement à cela, je continue à écrire de façon tout à fait traditionnelle. Ecrire de la littérature "traditionnelle" et de la littérature électronique n'ont rien d'incompatible. Cela ne fait que deux ans et demi que je pratique la littérature électronique. Avant cela j'ai fait mille et un métiers, j'ai écrit des livres qui n'ont pas été édités, et voilà... Donc, mon "attachement" à la forme traditionnelle du livre est très mêlé. Amour/défiance ... Parfois je pense complètement arrêter d'écrire de la littérature traditionnelle...tant il y a d'ingratitude là-dedans : à la fois au moment de l'écriture, puis des multiples réécritures, puis au moment de la réception ...quand les éditeurs vous refusent le livre, ou quand des lecteurs (puisque maintenant, certains de mes livres sont édités) ne sont pas aussi emballés qu'on l'espérait. Mais parfois aussi, quand un jeune lecteur me parle des Prisonniers de l'Internet avec des étoiles dans le regard, et me demande quand sortira le prochain tome, tous mes doutes sont effacés. Ou quand une des nouvelles de mon recueil "Des corps amoureux dans quelques récits" (manuscrit.com) est acceptée à l'unanimité par une revue aussi exigeante que "La Voix du Regard"...où les lecteurs pointus ne manquent pas...je me dis que chaque chose viendra en son temps. D'autre part, je ne pratique pas les deux formes d'écriture de la même façon. Elles correspondent à deux temps différents. L'écriture traditionnelle réclame que je ne fasse que cela. Quand j'ai fini d'écrire mon roman "Je ne me souviens pas très bien", à l'automne 2001, je m'y suis consacré exclusivement, et dans une forme d'obsession qui ne laissait place à aucune autre activité. Ecrire un épisode des Prisonniers de l'Internet me demande un mois, le mois d'Août, où je ne fais que cela, du matin au soir. La littérature électronique peut plus facilement s'accommoder du vagabondage, de l'arrêt/recommence. Le "Livre des Morts sur l'Internet" a été commencé il y a un an et demi et avance tout doucement vers sa conclusion.

2- Les Prisonniers de l'internet, est une fable à destination des jeunes lecteurs. Dans votre récit, les personnages sont enfermés dans un jeu, Tetra Kill. Pourquoi avoir choisi de parler d'internet sur le mode carcéral ?

Je ne le vois qu'à moitié comme une fable. Le point de départ de cette série est très réaliste. Les personnages ne vivent pas dans un monde de chimères, et ne sont pas dotés - pour ce qui concerne les enfants - de pouvoirs supranormaux. Ils sont ancrés dans la réalité...et ne sont pas des "élus". Ce qui leur arrive est lié aux progrès de la technologie. Le fait que ce soient ces personnages-là, Lucie et son frère Paul, puis tous les autres, tient au hasard : ces personnages n'ont rien d'exceptionnel, ils sont simplement victimes d'un nouveau média qui génère de nouveaux dangers. La présence de magiciens ajoute un peu de piment à l'affaire... et souligne le côté un peu "magique" des technologies apparues avec l'Internet. Maintenant, concernant le titre de la série "Les Prisonniers de l'Internet", il y a plusieurs implications dans le mot "Prisonniers". Ils sont prisonniers, comme dans tout roman d'aventure certains personnages peuvent se retrouver prisonniers...et le fait que des enfants soient virtualisés et maintenus prisonniers est tout simplement le moteur réactualisé d'une intrigue très classique. Ils sont prisonniers, ils doivent se libérer, et pour cela faire preuve d'altruisme, d'abnégation, de courage, de malice, etc... D'autre part ils sont prisonniers tout comme nous pouvons être prisonniers d'une passion, d'une addiction : ainsi a-t-on pu décrire l'Internet au moment de son apparition comme une nouvelle drogue. Dans ce sens, les P.I. sont bien une fable. Mais pas uniquement à destination des enfants : tous ceux, jeunes adultes, adultes, qui sont prisonniers d'une passion - et plus spécialement la passion du jeu - peuvent se reconnaître là-dedans. Enfin, ils sont prisonniers de l'Internet comme nous pouvons être prisonniers d'une représentation. Ce qui les maintient prisonniers, c'est tout simplement leur désir de se sentir inclus dans une fiction suffisamment ample pour se substituer au mode normal de représentation du monde.

3- Il y a un an, nous vous rencontrions pour le lancement du portail e-critures.org, laboratoire d'observation et d'expérimentation lié aux écritures électroniques. Avec cette ambition d'extirper la littérature du papier, d'accompagner l'avènement d'un nouveau genre littéraire, une forme " qui soit l'expression technique parfaite de son époque ". Où en êtes-vous de vos recherches ?

Le portail www.e-critures.org, qui est une création collective, à laquelle ont participé plusieurs membres de la liste de diffusion é-critures, et que Gérard Dalmon réalise, fonctionne bien. Il remplit sa triple fonction qui est de rassembler, de populariser, et de favoriser des pratiques nouvelles d'écriture liées à l'ordinateur.
1 Rassembler tous les acteurs des é-critures électroniques qui le souhaitent et cela dans plusieurs buts : - exposer leurs créations individuelles et collectives - faire comprendre leur démarche grâce à un questionnaire, très simple, qui s'appuie sur leurs oeuvres. La volonté est très clairement pédagogique. - donner un aperçu de leurs contributions théoriques
2 Faire connaître les écritures électroniques auprès d'un plus large public - pour un public d'amateur littéraire "éclairé", le site est l'occasion de se familiariser avec un nouveau mode d'écriture. - pour un public d'universitaires (étudiants ou professeurs, les universitaires - et pas seulement français, puisque le site et la liste attirent des universitaires espagnols, brésiliens, hongrois - se penchent avec de plus en plus de passion sur les nouveaux enjeux des écritures électroniques etc...) le site est l'occasion de faire le point, et de prendre des contacts plus précis ( quitte ensuite à basculer vers la liste de diffusion, où des synergies, des groupes de travail peuvent se créer). - donner aux médias un moyen d'accès simple et rapide à un nouveau mode d'expression et leur permettre de repérer parmi les créateurs ceux dont ils auront envie de traiter le travail.
3 Pour ce qui est du troisième de nos objectifs, il se réalise de façon implicite. Tous ceux qui participent au newsGroupe E-critures - et nous avons des membres hispanisants présents en auditeurs, qui nous disent apprendre beaucoup de nos échanges -, ou qui consultent le site, sont imprégnés des prises de position des uns et des autres. Les répercussions de cela se verront au fil du temps. Actuellement, nous sommes en phase de réflexion concernant les évolutions à donner à ce site. Plusieurs propositions ont été faites. - proposition de réaliser une partie "magazine" avec un contenu renouvelé tous les mois, contenant des articles payés à leur auteur (sur le modèle de la revue canadienne Archée). - proposition de mettre en place un système interactif qui permette à chacun de transférer les données (textes, images, sons) qu'il souhaite mettre en place sur le site. - proposition de présenter un panorama international des écritures électroniques avec liens. Pour ces nouveaux développements, nous manquons de partenaire, et notamment de soutiens financiers. Nous sommes à la recherche de toutes contributions. D'autant plus que le collectif é-critures se trouvera de plus en plus impliqué dans l'organisation de manifestations liées aux écritures électroniques. A bon entendeur...

4- Les chemins de l'hypertexte Les liens ne sont pas nés de l'écran. La lecture, l'écriture procèdent par liens depuis toujours. Les liens sont les lassos de la pensée. Aussi si l'écran apporte sa troisième dimension au texte, peut-on pour autant affirmer que l'hypertexte suscite de nouveaux modes d'écriture et de lecture ? N'écrit-on, ne lit-on pas les mots les uns à la suite des autres ?

Pour moi, le changement le plus radical de ces écritures électroniques, ce n'est pas la fonction "lien" en soi, dont on pourrait trouver bien des antécédents dans la littérature papier, effectivement, mais le fait que ces écritures électroniques soient pensées et agies expressément pour l'écran. Cela a été rendu possible par l'apparition d'un métalangage, le HTML , qui est "composé d'une suite de signe ASCII, dans laquelle sont inclues les commandes spéciales concernant le formatage des pages, la police de caractères et les multimédia." (1) Que l'on trouve des antériorités au lien hypertexte, c'est une évidence : tout mot est un paradigme, qu'il ne tient qu'au lecteur de faire fonctionner ou non. Selon son degré de curiosité et selon le dispositif du texte, le lecteur pourra ou non avoir une lecture paradigmatique. Que l'on songe à certains livres de Diderot, ou de Laurence Sterne, dans lesquels on peut à tout moment sortir de la linéarité du texte pour plonger dans une toute autre direction, suivre une digression, etc...Les notes et renvois, également, sont une forme de préfiguration du lien hypertexte. A l'inverse, on pourrait fort bien imaginer qu'il existe sur écran une littérature non-hypertextuelle, qui se donnerait à lire de façon très platement linéaire. Donc, le dispositif textuel peut générer ou non une lecture paradigmatique, quel que soit le support. Ce qui change vraiment la donne de ces nouvelles écritures électroniques, c'est qu'elles soient pensées d'emblée comme multimédia et hypertextuelles, et qu'elles le soient exclusivement pour l'écran. C'est une rupture historique dont nous commençons de mesurer les conséquences. En effet, pour peu que l'on élargisse son point de vue, et que l'on envisage la littérature sur une durée longue, il ne peut pas nous échapper qu'elle n'est pas intemporelle, ni éternelle, mais qu'au contraire elle est très étroitement liée à ses conditions techniques d'existence. La révolution Gutemberg lui a donné les moyens pour devenir ce que nous connaissons : cela n'est vieux que de cinq siècles. Ce qui s'est alors joué, en deux temps, c'est premièrement une simplification de l'accès aux contenus préexistants, et deuxièmement une adaptation des contenus à ce support. Une révolution de même ampleur est en train de se réaliser. Et de même que le livre imprimé a conditionné un changement dans les modes de lecture - de collective, elle a pu devenir un acte intime - et dans les modes d'écriture - d'épique, portée vers la diction, elle s'est tournée vers l'introspection, vers les chuchotements de l'âme - de même la littérature sur écran va trouver sa voix propre, et ne devra plus être appréhendée avec des a priori hérités de la littérature-papier. Sur un écran, nous ne lisons pas et nous ne lirons pas de la même façon que dans un livre. Nous avons déjà une culture de l'écran, conditionnée en partie par la télévision. Cette culture nous permet de décrypter ce que nous voyons d'une façon spécifique. On va par exemple chercher peu à lire un texte long s'affichant sur toute la largeur de l'écran, mais plutôt privilégier les phrases courtes. On va se soucier du caractère et de la disposition des mots. On va organiser une hiérarchie selon l'emplacement du mot, etc...On va analyser en un coup d'oeil les relations entre visible et lisible. On va repérer, parmi les barres d'outil, de menu, d'état, etc, ce qui est essentiel en fonction de la lecture présente. On va lire et réagir à plusieurs, quand la lecture d'un livre impose la solitude. Etc... Cette lecture spécifique qui est en train de naître va dans le sens d'une abolition des dichotomies entre visible et lisible, entre continu et discontinu, entre noble et populaire, entre poésie et récit. L'écran, qui est le support majeur de notre époque, le lieu cardinal où passent l'information et le divertissement, l'interface, pour parler le langage des informaticiens entre le monde et nous, a largement envahi nos environnements depuis quelques dizaines d'années. Ce qui a permis de l'apprivoiser, d'en faire un lieu de création majeur et populaire, c'est le HTML. Une invention géniale qui met à la portée de tout le monde la possibilité de dessiner de nouvelles architextures textuelles, et avec une facilité que n'offrait jusqu'à présent aucun langage informatique. Pour imager les mutations que nous sommes en train de vivre, je dirais que nous sommes dans la situation d'un pingouin qui aurait pris son envol : nous volons, mais nous cherchons toujours le poisson autour de nous, comme si nous étions encore dans l'eau. Le risque, c'est de ne pas trouver le poisson!

5- Quel usage du mutimédia ? L'ordinateur est un multimédia, tentant, en effet, de mettre autre chose que du texte pur sur un écran, d'introduire le mouvement, le son… Parlez-nous des différents types d'écriture multimédias que vous expérimentez sur votre site ? N'y a-t-il pas un risque d'appeler le multimédia au secours de la faiblesse d'un récit, d'une description ? Un bon écrivain a-t-il besoin du réalisme d'un son, d'un image ?

Bien plus qu'un simple outil, l'ordinateur peut être décrit comme un système complexe . Système complexe parce qu'il est composé à la fois de pièces mécaniques et de contenus numériques, qui proviennent de fabricants très divers, lesquels peuvent parfaitement ne pas être en concordance. L'ordinateur n'est certes pas le seul objet qui soit le résultat d'un assemblage. Une voiture, par exemple, en est un autre exemple. Mais contrairement à une voiture, les composants d'un ordinateur peuvent entrer en conflit les uns avec les autres à l'intérieur de la même unité : drivers qui ne reconnaissent pas tel ou tel type de matériel, et donc l'empêchent de fonctionner, logiciels qui ne se tolèrent pas les uns les autres, tentatives de prise de pouvoir de systèmes d'exploitation concurrents, etc... C'est en ce sens que c'est un système complexe. Et l'on pourrait même dire qu'un ordinateur est une micro-société à lui tout seul. Des fabricants tantôt font alliances, tantôt se concurrencent, etc... des volontés adverses se manifestent aux marges (hackers, concepteurs de virus, etc...). Un auteur sur ordinateur sera forcé de composer avec cette multiplicité : s'il était tenté de vouloir se comporter en autocrate refermé sur sa bulle, il ne pourrait tirer le meilleur parti de ce système. Tout au contraire, il devra suivre des flux, se servir de son intuition, se plier quand il le faut etc...rompre avant de revenir... Cette multiplicité, et cette complexité doivent s'exprimer pleinement dans l'acte créateur. Ecrire sur ordinateur (pour autant qu'on ne parle pas de l'ordinateur comme d'une simple machine à traitement de textes, ce n'est pas le cas de figure qui nous intéresse ici), c'est accepter de perdre ses repères traditionnels. C'est passer du singulier au pluriel. Ceci posé, si l'auteur est mauvais, il sera mauvais, et l'ordinateur ne "masquera" rien : on repère très bien les oeuvres sur ordinateur qui mettent du mouvement ou du son pour "faire joli". Aucun intérêt. A l'inverse, un "bon écrivain" comme vous dites, restera toujours un bon écrivain sur livre-papier, et rien ne dit qu'il sera également un bon é-crivain sur ordinateur. Les deux choses ne sont pas forcément liées. Et s'il venait à l'idée d'un écrivain traditionnel de se mettre à l'ordinateur pour pallier une baisse d'inspiration, il y a fort à parier qu'il n'intéresserait que ses confrères de l'Académie, qui pourraient s'émerveiller/compatire que l'on fasse joujou avec l'ordinateur... Aussi une création sur ordinateur, pour être un peu intéressante, devra-t-elle être conçue d'un seul mouvement d'esprit. Ecriture du texte, choix et/ou création des images, choix et/ou création des sons, sans oublier évidemment la mise en scène de tous ses éléments dans l'oeuvre achevée. Pour moi, une oeuvre sur ordinateur qui serait le fait d'un créateur déléguant à des techniciens la réalisation pratique de son oeuvre n'a pas de sens. Ecrire sur ordinateur, c'est accepter que l'outil vous modifie autant que vous le modifiez. C'est un échange avec tous les concepteurs de programmes, tous les écrivains d'informatique qui ont produit du Javascript, du CGI, du PHP, etc... dont vous vous servez pour concevoir votre oeuvre. Les oeuvres sur ordinateur les plus intéressantes sont marquées par ce lent travail d'apprentissage, d'accommodation, cet effort qu'a produit le créateur pour s'approprier un outil. De même qu'un écrivain traditionnel doit travailler dans toute l'épaisseur du mot, en éprouver toutes les significations, et se laisser transformer par lui - et cela n'est guère qu'une affaire de dizaines d'années - , de même un é-crivain devra éprouver dans la fatigue de son corps, au terme de journées et de nuits de travail devant l'écran, toutes les ruses d'un logiciel, ses chausse-trappes, ses potentialités cachées. Ce n'est qu'à ce prix qu'il pourra s'approprier suffisamment ce logiciel pour qu'entre ses mains il ne sonne comme entre les mains d'aucun autre créateur. Imagine-t-on un écrivain qui dicterait de vagues idées à un scribe, lequel se chargerait de les mettre en oeuvre? Enfin, oui, on l'imagine, et on voit très bien ce que ça donne! (Pour vous, Audrey Cluzel, et pour répondre à "Parlez-nous des différents types d'écriture multimédias que vous expérimentez sur votre site ?" : s'il s'agit d'un dossier en ligne, et concernant ma démarche d'écriture multimédia, qui serait un peu longue à expliquer dans le cadre de ce questionnaire, vous pouvez peut-être placer un lien vers mon intervention du dernier colloque de Paris8, où je parle de ça : http://hypermedia.univ-paris8.fr/Groupe/journeesdoc/Formes.htm )

6- Interagir ? La lecture fait partie de l'œuvre (Duchamps le regard fait l'œuvre) Quelle définition donnez-vous à l'interactivité, quelle interactivité possible avec le lecteur aujourd'hui ? demain ?

Concernant l'interactivité, je suis un auteur beaucoup plus "classique" que certains. En effet, tout ce que je propose est "achevé", en ce sens que tout ce que l'on voit à l'écran a son code-source HTML fixé une bonne fois pour toutes. Si certains objets/écran (j'entends par "objet/écran" tout ce qui peut apparaître sur et autour d'un écran : visuel, sonore, événement, etc...) ne sont pas visibles dans un premier temps, sans interaction du lecteur, ils le seront dès que le lecteur aura trouvé les commandes qui lui donnent accès à ces objets/écran. Donc, l'interaction dans mon travail se situe à ce niveau-là, très simple : le lecteur peut, s'il le désire, aller plus loin que le premier écran, et découvrir tout ce que j'y ai mis intentionnellement. Ceci dit, certains lecteurs ne regardent pas la moitié de ce qu'un écran comporte, et cela ne pose pas de problème. Chacun grappille comme il l'entend. Pour d'autres auteurs, l'interaction sera bien davantage poussée : l'oeuvre n'existera pas si le lecteur ne la génère pas. Entre ces deux extrêmes, chacun cultive son jardin. Pour revenir un peu sur ma démarche, je dirai que j'ai une conception très classique de l'oeuvre. Je veux proposer au lecteur un produit fini, qu'il choisira ou non de parcourir. Peut-être est-ce une déformation dûe à mon passé dans la presse et la publicité, où j'étais tenu à produire les papiers les plus clairs et les plus directs possibles. Que ce soit dans mon écriture traditionnelle ou mon écriture multimédia, je m'écarte résolument de toute obscurité, je vais vers la simplicité. Mon voeu est que le lecteur puisse avoir accès directement au contenu que je lui propose, de telle façon que l'oeuvre se détache facilement de moi, et qu'elle continue son travail chez le lecteur. En ce sens, je m'oppose à tous les créateurs qui doivent nécessairement "expliquer, entourer, accompagner" leurs oeuvres. Pour moi, l'oeuvre doit pouvoir fonctionner toute seule. A la limite, on ne doit pas savoir d'où elle vient, elle doit se tenir sans moi. C'est pourquoi j'ai fait un site qui volontairement ne mettait pas en avant mon nom et encore moins ma photo, mes coordonnées, etc... Parfois des internautes m'ont demandé quelles étaient les personnes qui écrivaient sur mon site. Non pas que je veuille aller vers une dépersonnalisation de mon oeuvre, mais je veux qu'elle se tienne debout sans moi, et qu'elle aille faire son nid chez le lecteur. Mon oeuvre est dirigée vers le lecteur. Mais j'évoque là une forme classique d'interaction, qui se joue entre clics de souris et regard. D'autres formes d'interaction, plus poussées peut-être, vont se jouer entre clics de souris, clavier, et regard. Ce sera le cas dans le Livre des Morts, par exemple. J'écris "sera" puisque des problèmes techniques ne nous permettent pas pour l'instant de réaliser pleinement cette fonction. Donc, l'interactivité consistera dans le Livre des Morts, à placer en fin de chaque chapitre une série de questions auxquelles le lecteur/navigateur pourra choisir de répondre. Une fois ses réponses écrites, il les transmettra vers une base de données, où elles resteront stockées. Un code d'accès lui permettra de consulter, de faire consulter, de modifier, etc...ses réponses. Le lecteur/navigateur/pérégrin s'inscrira directement dans l'oeuvre. Son écriture fera partie de l'oeuvre. Il est même prévu qu'il puisse générer lui-même des questions, au cas où celles posées ne lui conviendraient pas. C'est là une interaction bien davantage poussée. Mon prochain projet prévoit une interaction encore plus manifeste...mais je n'en dirai pas plus. Ce que l'on peut dire de l'interaction pour conclure, c'est qu'elle va dans le sens d'une revendication du lecteur, qui de plus en plus souhaite agir sur l'oeuvre. L'exemple des jeux vidéo en est l'illustration, qui prennent de plus en plus d'importance, où l'interaction est poussée jusqu'à ses ultimes retranchements, jusqu'au point où le joueur peut endosser la peau d'un personnage. Jusqu'au point où le joueur est porté à enregistrer sa partie, comme s'il s'agissait d'une oeuvre, pour la montrer à ses co-ludomanes. Est-ce un bien, est-ce un mal. Pour l'instant, on ne peut que le constater.

7- Un art technologique ? La multimédia demande beaucoup de nouvelles compétences, difficile à cumuler pour un seul homme, ne serait-ce que la programmation… Arrivez-vous à travailler seul ou s'organise-t-il autour des créations, une collaboration artistique proche du cinéma.

Je travaille à la fois seul et en équipe. Les deux ne sont pas incompatibles. En équipe, avec Gérard Dalmon (site www.neogejo.com ), français vivant à New York et travaillant dans le design, web-design, la création d'événements artistiques, nous avons commencé, et presque fini le Livre des Morts sur l'Internet. J'en ai conçu le projet, rédigé le plan, écrit les textes. Gérard Dalmon en a assuré la réalisation, tant au niveau graphique que sonore. Il a des compétences que je n'ai pas. Nous pensons démarrer une nouvelle oeuvre commune, sur un projet auquel je pense depuis un moment. Seul, j'ai réalisé : - 10 Poèmes en 4 Dimensions - Formes libres flottant sur les Ondes ( oeuvre ouverte) - Serial Letters (en cours de réalisation) Pour ma part, je suis assez novice en informatique (trois ans de pratique), et ne me sers que d'un très petit nombre de logiciels : Dreamweaver, Photoshop, Animation Shop. Je maîtrise un peu le JavaScript. Je considère que l'apprentissage de ces logiciels est bien moins difficile que l'apprentissage d'une langue étrangère, par exemple, ou de la mécanique auto. Il suffit de pratiquer. Enfin, art technologique = art de riches...oui, on pourrait le dire. Mais cela n'est que le reflet d'une réalité économique dont nous sommes les bénéficiaires... et qui ne date pas d'aujourd'hui. On ne peut que souhaiter un nivellement par le haut, et constater que dès lors que le minimum sera requis (la possession d'un ordinateur connecté au réseau, ce qui après tout, jusqu'au fin fond des villages les plus reculés d'Inde, devient une réalité) l'oeuvre sur réseau mettra tout le monde sur un pied d'égalité - puisque partout elle pourra être reçue de la même façon.

8- Quelles œuvres sur le réseau ont suscité votre intérêt, récemment ?

www.adamproject.net http://www.echolalie.com www.incident.net

9- Adamproject est un site créé par Timothée Rolin, où chacun est invité à enregistrer les photographies d'une journée de sa vie. Vous vous êtes prêté au jeu de cette autofilature photographique, quelle a été pour vous cette expérience ?

J'ai pris les choses très simplement. Le dispositif me plaisait, et j'ai eu envie de l'utiliser. ce qui m'intéressait là-dedans, c'était de pouvoir, par le jeu des mots-clé, naviguer entre des réalités fort différentes. Au début, je voulais, comme je trouvais les participations à l'Adamproject très parisiennes, ou sinon urbaines, réaliser une journée chez moi à la campagne. Je vis seul, à la campagne. Une journée d'un solitaire uniquement tournée vers le travail du texte, sans aucun événement qui ne vienne la perturber, comme sont la plupart des journées, voilà ce que j'avais envie de faire. Cela aurait créé un effet de contraste intéressant avec tout ce que l'on voit. Il n'est pas dit que je ne le fasse pas, d'ailleurs. Je photographierais les lapins nains de mes enfants, et les cochons d'inde, tout spécialement au flash pour voir les yeux rouges des lapins angora. Puis, comme je participais à ces journées d'étude franco-canadiennes organisées à Paris8, j'ai voulu profiter de cette occasion...d'autant plus que ce sont des gens que je vois très rarement. L'effet album-souvenir est très clairement celui recherché. Par les participants au colloque, cela a été bien perçu. Les gens sont contents de garder une trace d'un événement qui s'est très bien passé. Puis, le prolongement de ce travail, au départ pour moi anodin, c'est la réalisation d'une nouvelle oeuvre multimédia, Serial Letters, qui s'appuie sur les photos prises à cette occasion. Me servant d'un JavaScript, qui fait vivre le texte comme tapé en direct par une machine à écrire, j'ai mis en place un dispositif narratif qui a l'air de bien fonctionner (d'après les retours de lecteurs). Donc, voilà le prolongement inattendu de cet autoespionnage... La trame narrative suit au départ le reportage d'une journée, en allant voir alternativement du côté de la parodie et de l'humour, et du côté d'une fiction cauchemardesque. Pour l'instant, j'ai produit une petite vingtaine de pages. Je ne sais pas exactement où va ce récit, mais il m'amuse, il fonctionne, etc... Est-il un ban d'essai pour aller vers de nouveaux récits, ou bien deviendra-t-il une oeuvre à part entière...je n'en sais rien! (1) Dictionnaire de l'informatique http://www.dicofr.com/cgi-bin/n.pl/dicofr/definition/20010101002357